Industrie et artisanat du verre à Pantin
Le verre, issu de la fusion du sable par le feu, est l’un des premiers matériaux artificiels. Sa production nécessite une importante chaleur et donc une énergie abondante. Pour cela, le verre est longtemps matière d’exception, mobilisant les plus grands savoirs techniques.
Produit de luxe pendant des siècles, l’usage du verre s'étend à partir du XIVe siècle. Les productions se diversifient avec l’apparition de verres à boire, fioles, miroirs, lunettes de vue, verres à vitres...
La région parisienne devient, dans la seconde moitié du XIXe siècle, un pôle important de l’industrie verrière, qui n’égale toutefois pas, par la production et la main-d’œuvre, les grands centres du Nord, de la Lorraine, de la Loire et du Rhône.
Les transformations techniques et les stratégies économiques patronales expliquent l'implantation de verreries à Pantin dès les années 1840. L'utilisation de la houille comme combustible, à la place du bois, ne nécessite plus la proximité des zones forestières. Les industriels se rapprochent alors des grands marchés urbains de consommation. Pantin bénéficie notamment d’un prix du foncier faible et de la présence de deux grands axes de communication routiers. Dans ce contexte, plusieurs verreries et cristalleries s’y installent.
La Cristallerie de Pantin
En 1847, une verrerie est établie au 84 de la rue de Paris (actuelle avenue Jean-Lolive), malgré de nombreuses oppositions du voisinage, par peur des émissions de fumée et de matières.

La fabrique est reprise en 1859 par Eugène Monot, ancien ouvrier de la cristallerie de Lyon devenu patron à La Villette. Elle connaît un développement considérable et devient la cinquième cristallerie de France, employant environ 400 personnes dès 1862.
Soucieux d'innovation, Monot perfectionne la qualité du verre et ses productions sont remarquées à l'Exposition industrielle de 1878 aussi bien pour leur matière et leur fabrication que pour leur qualité artistique. L'entreprise, qui prend en compte au début des années 1880 le développement de l'électricité, offre une grande palette de produits : services de table, de toilette, fantaisies, cristaux d'art et industriels. Elle dispose d'un magasin d'exposition rue de Paradis à Paris.
Après une division par deux des effectifs au cours de la dernière décennie du siècle, l’artiste Camille Tutré de Varreux, qui signera De Vez, prend la codirection de l'entreprise et renforce la production à caractère artistique. Ses motifs inventifs gravés en camée à l'acide ont une exceptionnelle netteté et une infinie variété de tons. Le succès est là et le personnel remonte à 265 personnes en 1908.
Après la guerre, l'entreprise décline. Reprise par la Société industrielle de verrerie, elle est dirigée par L. Touvier. Ne bénéficiant d'aucun plan de modernisation et d'investissement, l'usine ferme ses portes vers 1925. Mise en vente en 1931, la cristallerie est rasée au début des années 1940. À sa place seront édifiés le groupe scolaire Joliot-Curie et le gymnase Maurice-Baquet.
La Verrerie et cristallerie des Quatre-Chemins
En 1867, l'industriel parisien Jacques-Jules Vidié transfère sa verrerie de la Villette à Pantin, sur l’un des deux grands axes de communication, au 48 route de Flandre (actuelle avenue Jean-Jaurès). La Verrerie et cristallerie des Quatre-Chemins emploie entre 100 et 200 personnes. Sa production est orientée vers la fabrication d'articles « ordinaires » : verres pour limonadiers et laitiers, pichets, vide-poches, services à liqueur. Les Vidié sont des fabricants reconnus dans l'univers de la verrerie. S'ils ne visent pas la haute verrerie d'art et qu'ils ne signent pas leurs pièces, leur fabrication est de qualité.

Après la mort de Charles Vidié en 1897, l’usine est reprise par la société Legras et compagnie, du nom d’une famille de verriers qui dirige depuis 1864 les Verreries de Saint-Denis. Les établissements Legras sont une des plus grandes verreries de France en matière d’articles de fantaisie jusqu’à la Première Guerre mondiale. Parmi les premiers à s’attacher à la modicité des prix et à vulgariser la verrerie d’art, ils disposent au début du XXe siècle d’un catalogue très varié.
L'usine des Quatre-Chemins, avec ses trois grands fours de fusion, fabrique pour les cafetiers, limonadiers et hôteliers, des siphons à eau gazeuse, des bouteilles blanches de toutes formes, des bouteilles à lait à inscriptions gravées et décorées, des carafes et bouteilles réclames, des verreries pour service de table... Elle crée aussi de la verrerie décorée en verre de couleur. Après la guerre, la production se centre sur le style Art déco gravé à l'acide.
Vers 1925, l'usine est cédée au parfumeur François Coty, ancien client de Legras, probablement pour y fabriquer ses flacons. Elle ferme ses portes au début des années 1930.
De petits ateliers spécialisés
Outre ces deux grandes cristalleries, Pantin accueille pendant plus d'un siècle de nombreux autres établissements verriers.
Excepté Sommier aîné qui emploie une soixantaine d'ouvriers pendant les années 1880, il s'agit majoritairement de petites entreprises familiales avec souvent moins d'une quinzaine de salariés. Elles forment progressivement un micro « bassin d'emploi » d'ouvriers qualifiés : souffleurs, tailleurs, graveurs, décorateurs, ce qui favorise le maintien local de ce type d'industrie.
La gravure ou la taille sur verre et cristaux, dit travail du verre à froid, représente aussi une activité spécifique de petites sociétés. Elle dure des années 1870, avec Trauffier, Jean-Baptiste Villaume... jusqu'aux années 1960. Ainsi, Jean-Nicolas Grébil installe vers 1948-1949 un atelier familial à façon qui ferme ses portes au milieu des années 1960. Son frère Léon dirige lui aussi un atelier rue Étienne-Marcel qui, après son décès en 1965, abandonne peu à peu la taille traditionnelle pour la miroiterie d'art.
Ces établissements verriers pantinois se tournent vers plusieurs marchés : Paris bien sûr, la province, mais aussi Pantin où sont implantées très tôt distilleries, parfumeries, chocolateries, confiseries, etc.

Ils s'adaptent tant à l'évolution de la demande qu’aux évolutions technologiques. Charles Auffière, rue Cartier-Bresson, se spécialise durant l'entre-deux-guerres dans l'optique pour la défense militaire ; après-guerre, les Verreries réunies de Normandie, rue Méhul, s'orientent entre autres vers le verre pour pharmacie tandis que les laboratoires de la Société d'applications industrielles de la photo électricité (SAIPE), rue Charles-Auray, développent la fabrication de nouvelles ampoules.
Les ouvriers du verre
L'essor de l'industrie verrière à Pantin attire les ouvriers des régions traditionnellement productrices de verre. La présence de verriers de l'Est par exemple, marque l'identité du quartier des Quatre-Chemins, souvent appelé « Petite Prusse ».
Cette industrie mobilise un éventail assez large de métiers en fonction de l'activité et du type de produit fabriqué : verre ordinaire, décoratif, cristal. Forts de leur savoir-faire dû à un long apprentissage, les ouvriers verriers et tailleurs sur cristaux forment un milieu très organisé et solidaire, et obligent souvent les patrons à composer avec eux.

À Pantin, ils sont – avec les allumettiers – les travailleurs les plus combatifs à la fin du XIXe siècle.
Après la guerre, les mouvements se raréfient : la grève la plus notoire est celle menée à la Verrerie des Quatre-Chemins en octobre 1929 pour protester contre la brimade d'un ouvrier par le patron, le parfumeur Coty. Cette lutte bénéficie d'un soutien local : des secours alimentaires sont offerts à chacun des grévistes par la municipalité de Pantin et un concert et un bal de solidarité sont organisés à la salle de conférences (actuelle salle Jacques-Brel).
Le saviez-vous ?
Au milieu des années 1990, aux limites nord-ouest de Pantin, sur les sites de la Vache à l'aise et de l'hôpital Avicenne, des fouilles archéologiques ont permis de découvrir 51 bracelets en verre remontant à l’époque gauloise – entre 250 et 125 ans avant notre ère.
Pour en apprendre plus, vous pouvez visionner Des bracelets en verre pour nos Gauloises. Archéologie, expérimentation, fabrication