De la Grande Blanchisserie de Pantin à Elis, plus d’un siècle d’histoire
Avec l’essor urbain et le développement des théories hygiénistes, les besoins en blanchissage s’accroissent dès le milieu du XIXe siècle et le secteur s’industrialise. Dans ce contexte, le négociant en toile Théophile Leducq fonde à Paris, en 1883, une activité de location de linge à destination des hôtels, restaurants, cafés, coiffeurs ou encore bouchers, sous le nom de Société Théophile Leducq et Cie.
L’installation à Pantin d’une « usine perfectionnée à vapeur »
Déplacée une première fois à proximité des abattoirs de la Villette en 1887, l’entreprise rebaptisée Grande blanchisserie de la Villette installe la majeure partie de ses activités à Pantin en 1894, entre le canal de l’Ourcq et la voie ferrée, sur un vaste terrain contigu aux Grands Moulins de Pantin.
L’usine de brique rouge et meulière puise l’eau nécessaire au fonctionnement des chaudières à vapeur et au traitement du linge dans les nappes phréatiques ; le charbon est acheminé par le canal. Quant aux eaux industrielles, elles sont évacuées grâce à l’aménagement d’un réseau dense d’égouts.
L’établissement de 8 500 mètres carrés est organisé suivant le cycle du blanchissage. Le linge apporté par les voitures à cheval est trié par couleur et textile, puis essangé et coulé, c’est-à-dire trempé dans l’eau pour un premier décrassage. Il est ensuite plongé dans une solution de bicarbonate de soude puis de lessive et mis à chauffer. Une fois les graisses dissoutes, il est lavé dans des barboteuses à action mécanique, qui remplacent le procédé artisanal du battage, rincé et enfin essoré. Toutes les étapes de lavage sont effectuées dans une grande halle métallique surmontée d’un lanterneau et de deux grandes cheminées permettant l’évacuation des fumées et vapeurs.
Le linge propre rejoint ensuite les séchoirs à air chaud situés aux étages d’un second bâtiment, dont les claires-voies en bois facilitent la circulation de l’air. Une fois sec, il est repassé manuellement ou mécaniquement et plié. Il est alors renvoyé au client ou stocké dans une remise.

En 1903, l’arrivée à la tête de l’entreprise de Maurice Leducq, fils de Théophile, marque un tournant. Soucieux d’améliorer la productivité et les conditions de travail des employés, il modernise l’usine, qui prend le nom de Grande Blanchisserie de Pantin, en installant une nouvelle machine qu’il a conçue ; celle-ci lave, rince et apprête en une seule fois le linge.
Il supervise également l’agrandissement du site avec la construction en 1910, près de la maison de maître occupée par la famille de l’autre côté de la rue du Général-Compans (aujourd’hui disparue), d’ateliers de réception, tri et expédition du linge reliés par un convoyeur souterrain à la buanderie. Le site constitue alors un ensemble urbain cohérent de 9 800 mètres carrés.
La blanchisserie emploie à cette époque environ 400 ouvriers, qui traitent plus de 15 tonnes de linge par semaine.
L’expansion des activités
Comme ses principaux concurrents, Maurice Leducq tente d’intégrer des activités complémentaires afin de maîtriser les différents secteurs de la location du linge. Il fonde par exemple, en 1919, la Société générale de tissage au 17 de l’actuelle avenue Édouard-Vaillant, pour ne plus avoir à faire appel à des fournisseurs de toiles. Cinq ans plus tard, il crée la Société Tous sports qui gère un parc d’automobiles de livraison.
En 1932, la raison sociale est modifiée en Blanchisserie MAJ, d’après les initiales des trois enfants de Maurice Leducq. La stratégie de développement se poursuit, avec l’extension de l’activité à la blanchisserie de gros et de fin. En 1936, l’entreprise se lance dans la teinturerie, puis l’année suivante dans le lavage au poids.

Ces nouvelles orientations se répercutent sur le site pantinois. Le besoin accru en matières premières oblige à forer un nouveau puits et les émanations sont maintenant évacuées dans une seule cheminée à grand tirage. Nouveau marqueur du paysage, cette cheminée à sections de béton symbolise les mutations de l’entreprise.
Sur les berges du canal, la halle qui regroupait salle des machines et installations de lavage est remaniée et les ateliers de lavage sont élevés sur trois niveaux. Un nouveau bâtiment de quatre étages est aussi construit à partir du rez-de-chaussée des anciens séchoirs, sans parti pris esthétique.
Dans les années 1960, la démocratisation des machines à laver domestiques oblige l’entreprise à délaisser le lavage au poids, pour revenir à son cœur de métier.
Jean Leducq s’associe en 1968 à son beau-frère Guy Chevrot pour fonder Europe Linge Service (Elis), s’adapter au marché en évolution et étendre ses activités aux pays voisins. Aux traditionnelles locations de linge sont ajoutées les filières d’essuie-mains en bobines et de vêtement professionnel.
En 1997, lorsque l’entreprise familiale est cédée à un groupe d’investissement, Pantin ne constitue plus qu’un maillon d’un réseau devenu européen.
Un nouveau site pantinois
Employant encore 400 personnes à la fin des années 1990, l’usine est principalement consacrée aux bobines et au vêtement professionnel et clinique. La première de ces activités est transférée à Saint-Ouen en 2011.

L’année suivante, le site historique qui a occupé jusqu’à près de 12 000 mètres carrés est relocalisé vers une nouvelle usine quelques kilomètres plus loin, en face des entrepôts de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris. Elis inaugure alors un bâtiment de 14 000 mètres carrés, qui devient la plus grande blanchisserie du groupe en France. Près de 300 salariés y entretiennent jusqu’à 500 tonnes de linge par semaine.
Le site historique est quant à lui transformé en un complexe urbain associant logements, commerces et bureaux. La cheminée d’abord préservée, afin de conserver une trace tangible de l’histoire industrielle du lieu, est démolie en 2016 pour des raisons de sécurité, alors que des vents violents l’avaient endommagée. Elle était ornée depuis 2014 d’une fresque du street artist Mehdi Cibille, alias Le Module de Zeer.
Les Leducq, un patronat social ?
Figure de l’histoire industrielle locale, la famille Leducq est reconnue pour son investissement dans la réalisation et la gestion de l’habitat populaire à Pantin.

Dans le prolongement des ateliers ou au-dessus des bureaux de la blanchisserie, mais également au sein du quartier de l’Église, les Leducq édifient des logements, entre 1894 et 1910 : une quarantaine d’appartements dans un immeuble mixte à l’angle des rues du Général-Compans et du Débarcadère ; des logements de rapport rue Charles-Auray ; des immeubles rues Jean-Nicot et Courtois ; un ensemble de « pavillons » rue Théophile-Leducq ; un immeuble mixte au 8 rue du Général-Compans.
Ces logements ne sont pas réservés à leur personnel mais s’adressent aussi aux ouvriers des industries voisines. La visée de ces immeubles est avant tout financière, la location d’appartements étant une activité à part entière pour l’entreprise.
Ces objectifs de rentabilité doivent être mis en regard des actions philanthropiques menées par la famille en faveur de l’enseignement et des œuvres sociales. Les Leducq se révèlent être de « bons patrons », probablement soucieux de maintenir la paix sociale dans une profession reconnue comme difficile.
Pour en savoir plus, vous pouvez consulter la brochure Des fumées noires aux vapeurs blanches, l'histoire de la Grande Blanchisserie de Pantin