Le canal de l'Ourcq
Un ouvrage au long cours
Afin d’améliorer l’alimentation en eau de Paris, jusqu’alors desservie par des pompes et fontaines éparses, la loi du 29 floréal an X (19 mai 1802) acte la dérivation de la rivière d’Ourcq de Mareuil à Paris et concrétise un projet imaginé dès le XVIe siècle. Cependant, le système à adopter, les choix techniques et la question de sa navigabilité font l’objet d’importants débats, tranchés seulement trois ans plus tard. Dans une logique de compromis, le choix se porte sur un petit gabarit, navigable par des embarcations étroites et de faible capacité appelées flûtes.
Napoléon Bonaparte conçoit le canal de l’Ourcq comme un véritable projet d’aménagement urbain et de liaison économique avec les grands ports de la mer du Nord. Avec le canal Saint-Martin, le canal Saint-Denis et le bassin de la Villette, il forme le réseau des canaux de la Ville de Paris. La Seine, quant à elle, doit devenir dans Paris un axe de prestige, libérée de ses fonctions industrielles et commerciales.
Dirigés par Pierre-Simon Girard, ingénieur en chef des Ponts et chaussées, les travaux avancent rapidement : dès 1808, le bassin de La Villette est achevé. Après une suspension des travaux pendant quelques années, les 97 kilomètres du canal de l’Ourcq sont finalement ouverts à la navigation de Mareuil à Paris en 1822.
Le territoire industriel du canal
À son établissement, le canal coupe Pantin en deux, avec un seul point de franchissement, isolant les terres agricoles au nord, du bourg situé au sud du canal, et dévalorisant les territoires qu’il sépare.
Avec l’annexion des communes périphériques à Paris telles que la Villette en 1860, Pantin se retrouve aux portes de la capitale et voit son statut de ville industrielle se renforcer. Le canal favorise alors peu à peu l’implantation d’usines, qui trouvent en lui une source d’eau et un moyen de transport en accès direct.
La première, la raffinerie Deutsch, s’établit en 1848 à l’emplacement de la ferme du Rouvray, en face des futurs Grands Moulins. En 1850, c’est au tour de l’entreprise Desouches, Thibaudier et Cie, fabricant de voitures et wagons de chemin de fer, de s’installer route des Petits-Ponts (actuelle avenue du Général-Leclerc). Abel Leblanc implante ses Grands Moulins rive nord en 1880 ; reconstruits à partir de 1923, ils façonneront durablement le paysage pantinois.
Les bords du canal accueillent progressivement, jusqu’au début de la Première Guerre mondiale, d’autres établissements importants : la maison de parfumerie Bourjois en 1889, la Grande Blanchisserie de Pantin de Théophile Leducq en 1894, l’usine d’huiles minérales, graisse industrielle et savonnerie Stern-Sonneborn dès 1898, la manufacture de meubles Frédéric Louis en 1907…
Il n’existe dans les premiers temps aucun équipement industriel et portuaire sur les bords du canal de l'Ourcq et les industriels ne tirent que très partiellement profit de celui-ci. De plus, son gabarit en interdit l’accès aux bateaux de la Seine et du canal Saint-Denis et nécessite un transbordement coûteux sur les flûtes. En mars 1876 une trentaine d’industriels adressent au maire de Pantin une pétition pour la création d’un bassin sur le canal. L’essentiel de l’activité batelière échappe alors à Pantin. En décembre 1887, une nouvelle pétition de MM. Deutsch et fils, Abel Leblanc, Ladurée et Cie (scierie), rappelle l’intérêt de la mise au gabarit du canal.
Un projet d’élargissement et d’approfondissement est élaboré, qui comporte plusieurs étapes :
- d’abord entre le bassin de la Villette et le pont de la Mairie en 1892, avec la création d’un chemin de halage et de contre-halage, l’établissement d’un premier port public ainsi que la reconstruction du pont ;
- ensuite entre 1894 et 1896 jusqu’au pont de la Gare (actuel pont Delizy) avec la création de rues latérales permettant le chargement des marchandises ;
- enfin jusqu’à Bobigny à la fin des années 1920, un nouveau bassin étant mis en eau au pied des entrepôts de la chambre de commerce.
Avec ces travaux d’élargissement et d’approfondissement et la création d’un premier port public et d’un chemin de halage et de contre-halage, le canal devient un outil de développement économique pour la ville, tourné notamment vers l’approvisionnement de la région parisienne, et le fer de lance de l’aménagement urbain du nouveau centre.
Dès 1899, la préfecture note une multiplication par trois du trafic sur le canal de l’Ourcq. Plus d'un siècle après, le fret reste important. Les marchandises sont en grande majorité des matériaux de construction et des produits de démolition. Croisières et bateaux électriques sans permis développent la navigation de plaisance.
Le canal, au cœur de la vie des Pantinois
Ouvrage hydraulique indissociable du développement économique de Pantin, le canal, malgré ses industries et la pollution qui en découle, joue également un rôle clé dans les loisirs des habitants.
Ceux-ci prennent très vite l’habitude de flâner sur ses rives à pied ou à bicyclette. Lieu de baignade, il accueille pendant plusieurs décennies des compétitions de natation et des joutes. On y lance sa canne à pêche et des campagnes annuelles de rempoissonnement sont réalisées par les services municipaux entre la fin des années 1930 et les années 1950. La salle de cinéma et de spectacles Pantin Palace, édifiée à l’emplacement de l’actuel centre administratif en 1921, draine jusqu’à mille spectateurs jusqu’au milieu des années 1960.
Cette tradition festive perdure encore aujourd’hui et contribue à faire du canal un élément important de l’identité pantinoise.
La reconquête du canal
La libération des terrains générée par la désindustrialisation entraîne une mutation du paysage urbain.
Les berges du canal sont réinvesties et voient l’implantation de structures culturelles telles que le Centre national de la danse, dans l’ancien centre administratif, le théâtre du Fil de l’eau, dans un entrepôt de la Compagnie Franco-indochinoise, ou encore le tiers-lieu culturel Jardin 21, créant une continuité entre Pantin et le parc de la Villette.

De grandes emprises industrielles sont transformées en logements ou réhabilitées pour accueillir des activités tertiaires. L’ancienne manufacture Frédéric Louis accueille désormais logements et services municipaux. Rive nord, Chanel et Elis, héritière de la blanchisserie Leducq, ont emménagé en face des anciens entrepôts de la chambre de commerce et d’industrie de Paris. Les Grands Moulins hébergent les salariés de BNP Paribas Securities Services depuis 2009.
La zone d’aménagement concerté (ZAC) du Port est quant à elle destinée à mêler, sur une surface de 6,5 hectares le long du canal, logements, commerces, groupe scolaire, halte nautique pour la plaisance et les loisirs et capitainerie. En son cœur, les anciens entrepôts devenus les Magasins généraux de l’agence de publicité BETC, inaugurés en 2016, et la place de la Pointe, nouvel espace fort de la ville où se déroulent les grands événements pantinois.